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Rwanda : de quels crimes les Hutus et les Tutsis ont-ils été victimes ?

Les crimes qui ont été commis, principalement au Rwanda et au Congo depuis le 1er octobre 1990, contre les Rwandais, Hutus et Tutsis, ne peuvent pas se résumer en une seule expression ou appellation, sous peine de globaliser et de falsifier indéfiniment l'histoire.

Une seule appellation globale pour tous ces crimes ?

A l’heure actuelle, les appellations des crimes qui ont été commis au Rwanda contre les Tutsis ou contre les Hutus sont disparates, contradictoires et dépendent souvent des intérêts immédiats et du point de vue totalement subjectif de celui qui s’exprime.

En effet, la question de l’appellation des crimes qui ont été commis contre les Tutsis ou les Hutus du Rwanda est sans doute celle qui divise le plus tous ceux qui s’intéressent au Rwanda, à commencer par les Rwandais eux-mêmes.

Quelques un estiment ainsi qu’il s’agirait d’un « génocide rwandais ». D’autres soutiennent que ce fut un « double génocide ». D’aucuns pensent que le seul « génocide » fut celui des Tutsis et concèdent parfois qu’il y a aussi eu des « massacres de Hutus ». Les plus décidés évoquent aujourd’hui « deux génocides », « un génocide des Hutus » ou « contre les Hutus » et un « génocide des Tutsis » ou « contre les Tutsis ». Les plus prudents s’en tiennent à une « tragédie rwandaise » ou un « drame rwandais ». Les plus classiques parlent simplement de « guerre civile » qui devient une « guerre de reconquête » ou « d’occupation », pour certains, de « libération » ou « d’agression », pour d’autres, en occultant totalement les crimes qui ont été commis pendant cette guerre. Pour les plus imaginatifs, le génocide commis contre les Hutus serait un « contre-génocide » ou un « génocide sélectif ». Quelques-uns évoquent parfois des « crimes de guerre ». 

Les plus distants se contentent d’évoquer des « massacres inter-ethniques » et parfois même des « luttes tribales ». D’autres en sont encore à l’appellation incohérente de « génocide des Tutsis et des Hutus modérés » qui aurait été suivi de « représailles et d’exactions contre les Hutus». Cette appellation est incohérente en effet puisqu’un génocide, dont l’élément essentiel est de vouloir détruire un groupe national en tant que tel, ne saurait avoir été commis par le même auteur en même temps contre des Tutsis et des Hutus, ces derniers furent-ils modérés. Cette appellation est d’ailleurs la seule, dans toutes les appellations confuses qui existent, à attribuer une caractéristiques aux victimes, déjà catégorisées selon leur « ethnie », en les désignant comme « Hutus modérés », avec la conséquence terriblement néfaste que cette appellation induit implicitement mais nécessairement que les « Hutus », sans autre précision, n’auraient pas été modérés ou, pire, n’auraient pas été victimes. 

Le comble est atteint lorsque certains définissent les « Hutus modérés » comme étant ceux qui ont refusé de participer aux massacres, induisant par-là que les Hutus qui n’ont pas été victimes des Interahamwe sont ceux qui ont accepté de participer au génocide des Tutsis. Et lorsqu’ils parviennent parfois à s’entendre sur l’appellation elle-même et l’identité des victimes, rares sont ceux qui parviennent à s’entendre sur l’identité des auteurs de ces crimes.

Désigner correctement les auteurs de ces crimes

En réalité, c’est même sur l’identité des auteurs de ces crimes que la polémique et les tensions sont les plus vives dans ce débat puisque les auteurs de ces crimes essaient naturellement d’échapper à leurs responsabilités en voulant, au mieux, se confondre aux victimes ou, au pire, salir leurs victimes et inverser les responsabilités. C’est ainsi que la désignation des auteurs de ces crimes relève dangereusement et le plus souvent de catégories ethniques telles que : « extrémistes Tutsis », « extrémistes Hutus », « miliciens Hutus », « tueurs Tutsis », « régime Hutu » ou « rebelles Tutsis ». Certains ne s’embarrassent même pas et désignent tout simplement les criminels comme étant « les Tutsis » ou « les Hutus », sans autres adjectifs protocolaires. Comment voulez-vous qu’un enfant qui a grandi avec un discours qui désigne les « Tutsis » ou les « Hutus » comme ceux qui ont tué les siens ne développe pas une peur et une haine automatique contre ces « Tutsis » ou ces « Hutus » ? Mais d’autres désignations très répandues mélangent, tout aussi dangereusement, des catégories ethniques et politiques en désignant les auteurs de ces crimes comme étant « les extrémistes Hutus du MRND et de la CDR » ou « les extrémistes Tutsis du FPR ». Les désignations les plus critiquables et les plus dangereuses sont sans doute celles qui, en plus de stigmatiser une ethnie dans la désignation des auteurs d’un crime, associent cette ethnie à un terme tout droit issu de la propagande politique comme lorsque d’aucuns évoquent allègrement les crimes commis par un prétendu « régime Hutu Power » qui n’a jamais existé. 

Nul doute que ceux qui se rapprochent de la vérité, voire des seules appellations acceptables pour la postérité et la réconciliation des Rwandais, sont ceux qui attribuent les crimes à leurs auteurs, sans référence à l’ethnie de ces derniers mais uniquement au groupe politique et/ou militaire auxquels ils auraient adhéré tels que « les Inkotanyi » ou les « Interahamwe ». Mais la confusion ne pourra définitivement être levée que si l’on évite la globalisation ou au moins la catégorisation ethnique et que l’on s’attache avant tout à rechercher minutieusement la responsabilité individuelle des auteurs de ces crimes plutôt que la stigmatisation de leur ethnie qui, par essence, relève de ce qu’ils sont et non de ce qu’ils auraient fait.

Certains s’accusent mutuellement de négationnisme mais tous partent de la même réalité difficilement contestable, il y a eu plus de deux millions et demi de morts Rwandais dans la région des grands lacs ces 25 dernières années, dont les plus nombreux étaient des Hutus. Il est difficile de connaître le nombre exact des victimes mais les chiffres eux-mêmes divisent beaucoup moins que l’identification des crimes qui ont été commis et de leurs auteurs. En réalité, cette division persistante entre nous tous sur la manière de nommer ces crimes et d’identifier leurs auteurs ou de désigner les victimes, est, pour ceux qui sont de bonne foi, le fruit de plusieurs confusions et d’idées reçues, tant concernant les faits eux-mêmes que la définition légale – seule référence - des crimes en question.

De quels crimes s’agissait-il ?

Il convient par conséquent d’identifier d’abord ce qu’il s’est passé, où et quand, en vérifiant en même temps à quelle appellation peuvent correspondre ces faits tels qu’ils se sont produits. L’identification de ce qu’il s’est passé est nécessairement à circonscrire sur le plan géographique et dans le temps tout en concentrant l’analyse sur les victimes Rwandaises et spécialement sur les Tutsis et les Hutus car de nombreux crimes ont été commis contre les Twas mais ne font pas l’objet de polémiques sur leur appellation. Sur le plan temporel, l’on pourrait remonter très loin dans l’histoire du Rwanda pour revenir sur toutes les victimes qui l’ont émaillée, mais la date du 1er octobre 1990 est une date charnière et appropriée comme point de départ de la période d’observation. Si personne ne peut contester que le terreau de la haine et de la violence se trouve dans l’histoire plus ancienne du Rwanda, il est un fait que son dernier éclatement se situe à cette date qui correspond au début de la guerre fratricide déclenchée par le FPR contre le Rwanda. 

A cet égard, il paraît primordial de rappeler que tous les crimes qui ont été commis l’ont été pour la plupart en temps de guerre au Rwanda ou en République Démocratique du Congo. Quant aux territoires sur lesquels ces crimes ont été commis, il paraît adéquat de les limiter – dans le cadre de cet examen - à ceux du Rwanda et de la République Démocratique du Congo qui sont de loin ceux qui ont connu le plus grand nombre de victimes. L’on pourrait en effet étendre l’analyse à d’autres pays d’Afrique, comme la Zambie, le Kenya, le Cameroun ou l’Afrique du Sud, voire à des pays d’Europe comme la Belgique où des Rwandais ont notoirement été assassinés pour des raisons politiques.  

Compte tenu du point névralgique de ce débat, il s’agit de se concentrer essentiellement sur les victimes rwandaises que sont les Hutus et les Tutsis mais cela n’occulte pas le fait qu’il y a eu de très nombreuses victimes étrangères, notamment congolaises, burundaises, belges, françaises, espagnoles, canadiennes ou de plusieurs autres nationalités. Il est en effet important de circonscrire le débat pour éviter qu’il ne soit biaisé sur une question aussi sensible où les interlocuteurs qui ont des backgrounds différents s’opposent de manière véhémente sans se rendre compte qu’ils ne parlent parfois pas de la même chose.

Il est un fait que l’hommage rendu aux victimes ou le poids politique de ces victimes dépend parfois de la nature du crime dont elles ont été victimes et de son appellation officielle. Il est aujourd’hui de notoriété publique mondiale que le terme de génocide est émotionnellement et politiquement le plus marquant. Plus que tout autre, il suscite la compassion envers ceux qui en ont été victimes et la solidarité politique internationale envers leur communauté. C'est ainsi que l'examen des faits dans ce contexte, laisse apparaître sans grande ambiguïté que les cinq catégories de crimes suivants ont été commis : génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, assassinats politique, crimes de droit commun. Il faut nécessairement les examiner un par un et le faire en fonction des victimes qui sont certaines et qui sont le centre et la raison d'être de tout crime. Mais avant cela, il paraît indispensable de rappeler d’abord ce qu’on entend légalement par « génocide », par « crime contre l’humanité » et par « crime de guerre » qui sont des crimes dits de droit international humanitaire. Il ne paraît pas nécessaire de définir ce qu’on entend par « assassinats politiques » et par « crimes de droit commun » dont le sens paraît plus évident.

L’article 2 de la convention de 1948 sur la répression du crime de génocide dont les termes sont repris à l’identique dans tous les autres textes nationaux ou internationaux qui lui sont postérieurs, définit le génocide comme étant le fait de vouloir détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel, soit en commettant des meurtres de membres de ce groupe ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres de ce groupe, soit en soumettant intentionnellement ce groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, soit en entravant les naissances au sein de ce groupe ou soit en transférant de force des enfants du groupe à un autre groupe.  

A la lumière de la définition légale qui précède, il est tout de suite aisé de constater qu’il existe deux idées reçues qui font encore long feu actuellement sur les éléments constitutifs du crime de génocide, celle selon laquelle il ne peut y avoir génocide que s'il est l'œuvre d'un Etat doté d’un gouvernement et celle selon laquelle un génocide doit nécessairement être planifié. Ce sont deux idées reçues totalement fausses mais qui persistent dans l’imaginaire collectif au point que même les débats qui se sont tenus devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda ont longtemps porté sur la question de la responsabilité de l’Etat et du gouvernement ou sur la question de la planification alors que ces deux éléments ne sont pas des conditions exigées pour qu’il puisse y avoir un génocide. La troisième idée reçue, tout aussi répandue, est que le génocide consiste à vouloir détruire en totalité le groupe en question alors que la définition du génocide vise également le fait de vouloir détruire le groupe en partie seulement.

Quant au crime contre l’humanité, l’article 7 du statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002 en donne une définition assez complète dont on peut retenir qu’il s’agit d’une attaque générale et systématique lancée sciemment contre une population civile que l’auteur, notamment, tue, extermine, emprisonne, torture, persécute ou soumet à des actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale.  

Au vu de cette définition, l’on constate que les actes matériels constitutifs de crimes contre l’humanité ne sont pas d’un degré inférieur à ceux qui peuvent constituer un génocide mais sont de même nature et énumérés de manière encore plus complète. La différence entre le génocide et le crime contre l’humanité réside donc dans l’intention de l’auteur qui doit, pour le génocide, avoir l’intention de détruire un groupe en tout ou en partie, alors que cette intention n’est pas requise pour le crime contre l’humanité, même si ce dernier est souvent dicté par des mobiles politiques, raciaux ou religieux.  

Quant au crime de guerre, il est défini à l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale qui se réfère lui-même aux conventions de Genève du 12 août 1949 qui protègent les biens et les personnes en tant de guerre contre une partie au conflit.  

Le crime de guerre est défini de manière encore plus complexe que le crime contre l’humanité mais on peut retenir d’une manière assez simple qu’il englobe, en cas de conflit armé, le crime contre l’humanité tel que défini ci-dessus, commis par une partie au conflit, auquel il faut ajouter les atteintes spécifiques qui peuvent être commises en tant de guerre par une partie au conflit contre des prisonniers, des blessés, des malades, des services de secours ou des personnes et des biens qui ne prennent pas part au conflit.  

En l’espèce, en ce qui concerne le cas du Rwanda, les deux parties au conflit étaient le gouvernement de la République Rwandaise et les Forces Armées Rwandaises (FAR), d’un côté, et le Front Patriotique Rwandais et l’APR (Armée Patriotique Rwandaise), de l’autre.

Les crimes de génocide

Si l'on s’intéresse à la question du génocide pour commencer, et qu’on prend par exemple le cas des victimes Hutus, le fameux Mapping report du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme d’août 2010 concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République Démocratique du Congo, relate à lui seul qu'il y a bien eu un génocide contre les Hutus dans les camps de réfugiés au Zaïre puisque les actes commis contre les Hutus dans ces camps correspondent à la définition du génocide. En l’occurrence, l’intention de l’APR à travers l’AFDL de Laurent KABILA fut, entre le mois d’octobre 1996 et le début de l’année 1998, de tuer en tant que tels les Hutus qui étaient restés au Zaïre et qui n’avaient pas pu être rapatriés de force au Rwanda, sinon de les soumettre intentionnellement à des conditions de vie devant entraîner leur destruction totale ou partielle. Les réfugiés Hutus au Congo qui ont pu être appréhendés par l’APR pendant cette période ont été exterminés en tant que tels sans distinction d’âge ou de sexe, sur plus de 2000 kms de territoire congolais jusqu’à la frontière du Congo Brazzaville.

Il y a aussi eu un génocide contre les Hutus sur le territoire du Rwanda depuis 1991 mais surtout en 1994 et en 1995, donc avant l'attaque des camps de réfugiés en 1996, si l'on s'en tient à la définition du terme de génocide. En effet, les Hutus ont été tués en tant que tels par l’APR, en 1991 dans le nord du pays, dans les anciennes préfectures de Byumba, Ruhengeri et Gisenyi, en 1994 dans les camps de déplacés comme celui de Nyacyonga et en 1995 dans les camps de déplacés qui parsemaient le pays, essentiellement à l’Ouest, du Nord au Sud, même si son intention, sur le territoire du Rwanda, n’a pas été de détruire les Hutus en totalité. La condition de vouloir détruire le groupe en totalité n’est pas exigée par la définition du génocide qui requiert seulement que l’auteur ait l’intention de détruire le groupe en partie. Le génocide commis contre les Hutus l'a été par un mouvement politique et militaire qui n'agissait pas à travers un Etat, c'est à dire le FPR, mais il a continué par ce même mouvement politique et militaire à travers l'Etat après sa prise du pouvoir en juillet 1994. La circonstance qu’aucun des auteurs du génocide commis contre les Hutus n’ait jamais été traduit en justice n’est pas de nature à atténuer ou à effacer la nature du crime. 

Bien au contraire, c’est sans doute ce qu’il y a de plus anormal concernant ce génocide, c’est à dire le fait qu’aucun de ses auteurs n’ait été poursuivi jusqu’à présent. Certains estiment même que tant qu’un tribunal n’a pas confirmé l’existence d’un génocide commis contre les Hutus, un tel génocide n’existe pas, ce qui est absurde évidemment. D’ailleurs, la résolution 955 du 8 novembre 1994 adoptée par le Conseil de Sécurité et portant création du le Tribunal pénal International pour le Rwanda n’a pas limité la compétence de celui-ci aux seuls crimes commis contre les Tutsis. Au contraire, il visait à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et dans les pays limitrophes entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994. Ce n’est donc que pour des raisons politiques que le Bureau du Procureur près le Tribunal Pénal International a limité ses poursuites au seul génocide commis contre les Tutsis sans poursuivre les responsables du FPR pour les crimes qui avaient déjà été commis contre les Hutus au moment de la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. 

En ce qui concerne les Tutsis, il y a eu un génocide des Tutsis au moins à partir du mois d'avril 1994, sinon avant cela si l'on observe ce qu’il s'est passé contre la population des Bagogwe en 1992, une communauté Tutsie du Nord du Rwanda qui a été décimée. En l'occurrence, le génocide des Tutsis n'a pas été planifié, mais il ne faut pas imaginer que l'absence de planification serait de nature à enlever au crime son caractère de génocide. Cette réalité dérange de nombreux propagandistes qui s’évertuent à défendre l’idée d’une planification qui ne résulte d’aucun élément. Dans certains milieux, cette propagande est la seule version des faits qui a été circulée alors que l’absence de planification du génocide des Tutsis est une réalité qui saute aux yeux.

Cette réalité a d’ailleurs été confirmée par les constatations sans équivoque du Tribunal Pénal International (TPIR) faites pourtant contre vents et marées. Le génocide des Tutsis n’a pas été planifié, en tous cas pas par ceux qui ont été condamnés, notamment par le TPIR, pour l'avoir commis, puisque ce dernier a expressément acquitté tous les accusés de la prévention spécifique d'entente en vue de commettre le génocide. Il ne fallait pas toutes les décisions du TPIR pour pouvoir conclure que le génocide des Tutsis n’a pas été planifié, cela résulte à l’évidence des faits eux-mêmes. Il paraît pour le moins étrange de soutenir que la manière chaotique et totalement incontrôlée dont le génocide des Tutsis a été commis aurait été planifiée, avec un élément déclencheur, l’attentat contre l’avion du Président Juvénal HABYARIMANA, qui est en totale contradiction avec la thèse d’une planification du génocide par lui-même et ses partisans. En réalité, la thèse de la planification a été élaborée par la propagande politique du FPR, concomitamment et après sa prise du pouvoir, qui pensait qu’il fallait nécessairement démontrer une planification pour pouvoir parler de génocide alors que tel n’est pas le cas et qu’un génocide ne doit pas avoir été planifié pour pouvoir être qualifié de génocide. 

L’absence de planification n’enlève d’ailleurs rien à la gravité intrinsèque du crime lui-même. Les décisions du TPIR, qu’on ne peut pas accuser de complaisance envers ceux qu’il a jugés, ont sérieusement battu en brèche la thèse de la planification que le FPR avait élaborée pour discréditer ses ennemis politiques et justifier sa prise de pouvoir total à Kigali par les armes. La thèse de la planification du génocide des Tutsis est à ce point absurde que ceux qui l’ont élaborée sont allés jusqu’à invoquer, comme preuves de cette planification, des éléments qui démontrent en eux-mêmes qu’il ne peut pas y avoir eu de planification. Par exemple; le génocide des Tutsis a suivi de peu l’attentat commis contre l’avion du Président Juvénal HABYARIMANA le 6 avril 1994 et surtout l’offensive militaire généralisée lancée par le FPR sur tous les fronts dès le 7 avril 1994 à l’aube, ce qui - logiquement - exclut d’emblée que ce génocide ait pu être planifié par le Président Juvénal HABYARIMANA et ses partisans. 

Mais la propagande politique du FPR et de ses relais étrangers est telle qu’elle a réussi à développer, depuis bientôt 23 ans, une thèse rocambolesque selon laquelle l’avion du Président Juvénal HABYARIMANA aurait en fait été abattu par ses partisans, dont son épouse, pour pouvoir exécuter le génocide des Tutsis qu’ils avaient planifié de longue date. Selon cette thèse invraisemblable, le Président Juvénal HABYARIMANA aurait même eu une mésentente avec ses partisans et ces derniers auraient décidé de l’éliminer pour pouvoir exécuter ce génocide auquel il se serait opposé à la dernière minute. 

Dans cette propagande, il a donc fallu trouver un « cerveau » du génocide parmi ceux qui ont essayé de prendre les choses en mains avec le gouvernement intérimaire mis en place après le 6 avril 1994, sauf que celui à qui l’on a attribué la planification du génocide des Tutsis a été acquitté par le TPIR de la prévention d’entente en vue de commettre le génocide. Un autre élément qui démontre qu’il n’y a pas eu de planification du génocide des Tutsis par le gouvernement en place avant 1994 est la manière dont le génocide des Tutsis a été perpétré,

c’est-à-dire à l’arme blanche par des hordes de miliciens et de civils dans le chaos le plus total avec des victimes le plus souvent trouvées dans leurs lieux de refuge ou dans leur fuite. Or cet élément est utilisé par la propagande du FPR pour accréditer la thèse d’une planification, en allant jusqu’à inventer une thèse rocambolesque de commande par l’Etat de millions de machettes en Chine afin d’exécuter un génocide contre les Tutsis. Il est évident qu’un Etat qui aurait planifié d’exécuter un génocide sur une partie de sa population l’aurait sans doute fait de manière structurée et méthodique. Le gouvernement aurait sans doute exécuté le crime avec les quelques 50 000 hommes que comptait la force publique composée de l’armée, de la gendarmerie et de la police. La force publique aurait probablement utilisé des armes à feu ou des méthodes criminelles plus efficaces que les armes blanches et n’aurait certainement pas fait autant de publicité. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu de militaires ou de gendarmes des FAR qui auraient participé au génocide des Tutsis, il y en a eu mais absolument pas dans le cadre d’une planification qui aurait été faite au niveau de l’Etat, que ce soit avant ou après le 6 avril 1994. 

Le TPIR a d’ailleurs acquitté définitivement la plupart des plus hauts responsables militaires de la gendarmerie et de l’armée qui étaient en place avant et après le 6 avril 1994. Ceci amène directement à la question épineuse de l’identification des auteurs du génocide des Tutsis qui ne sont pas et ne peuvent pas être « les Hutus » d’une manière globale et générale. Si les auteurs du génocide commis contre les Hutus sont facilement identifiables et étaient d’ailleurs organisés pour le faire au sein du FPR et plus particulièrement au sein de l'APR, sa branche armée qui l’a exécuté avec méthode et efficacité, ceux du génocide commis contre les Tutsis ont été beaucoup plus difficiles à identifier parce qu'ils n’étaient pas regroupés sous une bannière politique ou militaire définie. Même si des civils ont pu s’improviser et participer à ces crimes, ils ne l’ont fait, ni au nom de toute leur ethnie, ni en tant que Tutsi ou Hutu. Autant il est incongru d’attribuer les crimes commis par le FPR aux « Tutsis », autant ça l’est d’attribuer les crimes commis par les miliciens Interahamwe aux « Hutus ». 

D’ailleurs, même le fait de désigner les Interahamwe comme auteur du génocide n’est pas rigoureusement exact s’il s’agit de viser la jeunesse du parti MRND car cela reviendrait à attribuer injustement la responsabilité du génocide à ce parti alors que le sens du mot Interahamwe après le 6 avril 1994 a désigné tous ceux qui se sont improvisés sous cette bannière sans aucun contrôle. En effet, de nombreux autres individus qui se réclamaient, avant le 6 avril 1994 de la jeunesse d’autres partis politiques (Les Impuzamugambi du parti Coalition pour la défense de la République (CDR), les Inkuba du parti Mouvement Démocratique Républicain (MDR) et les Abakombozi du Parti Social-Démocrate (PSD)), initialement et officiellement mus pour combattre le FPR après le 6 avril 1994, ont commis de nombreux crimes entre avril et juillet 1994 et notamment le génocide contre les Tutsis. Mais le fait d'appartenir aux Interahamwe en tant que jeunesse politique du MRND, avant ou après le 6 avril 1994, ne signifie évidemment pas qu'on soit un criminel car la responsabilité pénale doit, quoi qu'il arrive, toujours s'apprécier de façon individuelle, surtout que, dans le cas d’espèce, le président des Interahamwe avant et après le 6 avril 1994 était lui-même Tutsi.

Les crimes contre l’humanité

Les Hutus ont également été victimes de crimes contre l’humanité commis par le FPR, notamment à Kibeho le 22 avril 1995, lorsque l’APR a démantelé le camp de près de 100.000 déplacés qui s’y trouvait, en massacrant plus de 8.000 réfugiés à la mitrailleuse et à l’arme lourde dans le cadre de ce qui constituait une attaque générale et systématique.

Les crimes de guerre

Les Rwandais ont aussi été victimes de crimes de guerre tant que ces attaques contre les populations civiles étaient faites dans le cadre d'un conflit armé ou lorsque les militaires Hutus ou Tutsis étaient par exemple torturés ou achevés dans cette guerre sans prisonniers. Entre autres crimes de guerre commis par le FPR, il faut placer les nouvelles recrues, pour la plupart de jeunes Tutsis, venus du Rwanda et du Burundi, qui avaient fait des études secondaires et qui ont rejoint le FPR après les accords d’Arusha mais qui ont été assassinées par les cadres ougandais du FPR à l’approche de la victoire finale. Un autre crime de guerre qui a fini par paraître banal aux yeux des Rwandais entre 1990 et 1994 est celui des « Kadogos », c’est-à-dire des enfants soldats enrôlés par le FPR et participant directement au combat, certains ayant à peine atteint l’âge de 10 ou 12 ans.

Les assassinats politiques

A côté de ces deux génocides, de ces crimes contre l'humanité et de ces crimes de guerre, les Tutsis et les Hutus ont également été victimes d’assassinats politiques et même de crimes de droit commun, d’où l’importance de faire les distinctions qui s’imposent. Tous les leaders politiques qui ont été assassinés, que ce soit avant le 6 avril 1994 (Félicien GATABAZI, Emmanuel GAPYISI etc.), après le 6 avril 1994 (les Ministres Landouald NDASINGWA, Frédéric NZAMURAMBAHO, Boniface NGURINZIRA, Agathe UWILINIYIMANA, le Président de la Cour suprême Joseph KAVARUGANDA ou les évêques de Gitarama), ont été victimes d’assassinats politiques. Certains de ces assassinats n’ont pas encore officiellement été élucidés mais d’autres ont été commis soit par la garde présidentielle du Président Juvénal HABYARIMANA après sa mort le 7 avril 1994, soit par l’APR, avant, pendant et après sa prise de pouvoir.

Ces assassinats politiques ont continué au Rwanda et même à l’étranger, bien après la prise du pouvoir par le FPR (notamment Théoneste LIZINDE en 1996 au Kenya, Seth SENDASHONGA en 1998 au Kenya, Juvénal UWILINGIYIMANA en 2005 en Belgique, Patrick KAREGEYA en 2013 en Afrique du Sud). Ces assassinats politiques, dont les exemples ci-dessus ne sont pas du tout exhaustifs, ne peuvent pas être englobés dans les trois catégories de crimes décrits précédemment. Pour ceux qui connaissent le Rwanda, l’ethnie de ces victimes d’assassinats politiques n’a pas été la raison pour laquelle ils ont été assassinés. On ne peut énumérer ces crimes sans oublier les milliers d’assassinats politiques commis par les miliciens Interahamwe contre des Hutus, connus ou anonymes, pour leur connivence réelle ou supposée avec le FPR, essentiellement entre le mois d’avril et le mois de juillet 1994. 

Mais ces Hutus qui sont ceux que la propagande du FPR a voulu qualifier de « modérés » n’ont évidemment pas été visés en tant que Hutus par les miliciens Interahamwe et tous les autres criminels qui se sont joints à ses miliciens pendant cette période noire de l’histoire. Les étrangers qui ont été tués au Rwanda ont aussi été victimes d'assassinats politiques, que ce soient les missionnaires espagnols tués par l’APR, de nombreux civils belges tués par des miliciens Interahamwe ou les casques bleus belges tués par des militaires des FAR.

Les crimes de droit commun

De même, il n'y a jamais eu autant de crimes de droit commun au Rwanda qu'entre avril et juillet 1994, dans le cadre du chaos politique provoqué par la reprise de la guerre dans un contexte de génocides et de crimes de guerre. C'est ainsi que de nombreux criminels en ont profité pour piller leur voisin, tuer et violer dans un but purement vénal et sans motif politique ou tout simplement en prenant la situation politique comme prétexte pour commettre les crimes les plus graves du droit commun. La situation est donc très complexe et il n'y a qu'en répertoriant correctement et complètement les crimes en fonction des victimes qu'on peut avancer vers la dernière étape qui est d’identifier les responsabilités exactes dans ces crimes et parvenir à une justice pour tous.

Identifier les auteurs et leurs responsabilités exactes

Le FPR qui est au pouvoir actuellement et qui ne veut évidemment pas que sa part dans ces crimes, comme auteur direct ou instigateur, ne soit mise à jour, use de toute la propagande possible pour entretenir la confusion en mélangeant notamment les criminels et les victimes dans une seule catégorie ethnique pour camoufler sa responsabilité. Une autre idée reçue est celle selon laquelle le FPR aurait arrêté le génocide des Tutsis.

Il n’y a pas d’affirmation historiquement plus fausse que celle-là puisque l’objectif militaire du FPR n’a pas été un seul instant d’arrêter le génocide des Tutsis mais tout simplement de gagner la guerre après l’assassinat du Président Juvénal HABYARIMANA. D’ailleurs, le FPR a lancé son offensive à l’aube le 7 avril 1994 avant que le génocide des Tutsi ne commence vers la mi-avril 1994 et les témoignages d’anciens militaires de l’APR à l’instar du Lieutenant Abdul J. RUZIBIZA et de militaires présents sur place comme le numéro deux des casques bleus des Nations-Unies, le colonel Belge Luc MARCHAL, démontrent que le FPR s’était préparé à attaquer bien avant l’attentat du président Juvénal HABYARIMANA. 

A l’arrivée du FPR sur les lieux, dans sa conquête militaire qui était son objectif principal, le génocide des Tutsis était pratiquement terminé dans la plupart des endroits où il a eu lieu et où les Tutsis n’avaient pas pu être protégés, notamment par les gendarmes des FAR qui y sont parvenus, comme dans l’ancienne préfecture de Cyangugu. Pire, les témoignages des soldats de l’APR relatent qu’ils étaient focalisés avant tout par leur progression militaire et par les crimes qu’ils étaient eux-mêmes en train de commettre contre la population Hutue plus que par arrêter le génocide des Tutsis. Sur le plan logistique, il aurait d’ailleurs été militairement impossible pour le FPR d’arrêter le génocide des Tutsis qui a atteint son paroxysme dans le pays en quelques jours.

Eviter les généralisations et les amalgames

Résumer ce qui s'est passé au Rwanda en "génocide rwandais" est impropre parce que cela laisse planer une forme de généralisation ou de globalisation imprécise. Personne n'a été tué uniquement en raison de son appartenance à la nationalité rwandaise (sauf au Congo lors de la guerre de 1998 entre Kabila et ceux qui l'avaient porté au pouvoir où, notamment à Kinshasa, les rwandais ont été pourchassés en tant que tels). Résumer le tout au seul génocide des Tutsis ou au seul génocide des Hutus est un non-sens. Il est vrai que chaque interlocuteur examine ce qu’il s’est passé à partir de son point de vue et relate ou impose sa vérité en fonction de ses intérêts sans s’intéresser à la vérité des autres. Or nous devons nécessairement apprendre à inclure toutes les vérités dans nos analyses pour pouvoir toucher du doigt la vérité complète sur ces crimes. 

Pour cela, il faut se libérer de la propagande et examiner les choses à partir des victimes. Les victimes sont là parmi les Hutus et les Tutsis, leur existence ne peut être niée. Si l’on ne se libère pas de la propagande pour s’attacher aux faits et reconnaître la souffrance de toutes les victimes et leurs droits égaux à toutes obtenir justice, nous n’irons nulle part. C’est ainsi qu’aujourd’hui par exemple, vous avez des Hutus qui sont dérangés par la seule évocation du génocide des Tutsis et qui en nient parfois même l’existence puisque la propagande officielle veut accréditer la thèse selon laquelle les Hutus en seraient les auteurs.

Cela est dû à toutes ces désignations qui stigmatisent les auteurs de ce génocide dans leur ethnie comme ayant été les « Hutus », « le régime Hutu power », « les miliciens Hutus » ou les « génocidaires Hutus » qui ont été intériorisées par nombre d’entre nous. La désignation qui fait référence au régime « Hutu power » par exemple est particulièrement sournoise car elle fait référence à un régime qui n’a jamais existé. Seul le mot « Hutu » subsiste finalement dans cette expression dommageable, puisque c’est le seul qui correspond à une réalité, ce qui est inadmissible car cela revient à attribuer le génocide des Tutsis à l’ethnie Hutu dans son ensemble. Le « Hutu power » est une expression qui n’a jamais été utilisée au Rwanda par qui que ce soit et qui est une invention tout droit sortie de la propagande du FPR postérieure à 1994 qui a prétendu qu’il s’agissait d’un slogan brandi par les miliciens pendant la guerre. 

Le Hutu power n’est pas plus une réalité que le fameux Tutsi International Power (TIP) qu’une autre propagande avait érigé à la fin des années 90 mais dont aucune véritable trace n’a jamais été trouvée. De nombreux Tutsis voire des étrangers qui prétendent s’intéresser au Rwanda, lèvent les boucliers lorsqu’on évoque le génocide des Hutus et vont jusqu’à soutenir que le fait d’affirmer qu’il y a eu un génocide des Hutus serait une manière de nier le génocide des Tutsis. 

L’on a encore en mémoire le mot d’un ancien Président d’une association censée défendre les droits de l’Homme qui affirmait qu’ « évoquer le sang des Hutus c’est salir le sang des Tutsis ». Aussi difficile que cela nous soit d’admettre des phrases pareilles, il faut comprendre qu’elles sont le fruit de cette propagande qui entretient la confusion. La propagande est telle qu’elle en est arrivée à considérer comme négationniste celui qui affirme qu’il y a eu deux génocides plutôt que celui qui nie qu’il y a eu un génocide des Hutus.

Cesser de culpabiliser les Hutus et les Tutsis

Est-ce à dire qu’aucun Hutu et qu’aucun Tutsi n’aurait commis ces crimes ? Non, bien sûr que les auteurs directs de ces crimes étaient pratiquement tous Rwandais, Tutsis ou Hutus, mais cela ne justifie pas que l’on doive désigner les auteurs en stigmatisant le fait qu’ils étaient Rwandais, Hutus ou Tutsis plutôt que de les stigmatiser, au moins, à travers les mouvements politiques et militaires auxquels ils ont adhéré pour commettre ces crimes. La confusion vient du fait que les Interahamwe étaient essentiellement composés de Hutus, là où l’APR était une armée essentiellement composée de Tutsis ou en tous cas dominée exclusivement par des Tutsis, ce qui ouvre les portes de l’amalgame. Lorsqu’on enseigne la confusion et les amalgames, notamment aux générations futures, il ne faut pas s’étonner qu’elles finissent par diriger leur haine contre une communauté particulière.

Symptomatiquement, c’est ce type d’amalgame terrible qui a entraîné le génocide des Tutsis puisque la propagande en cours dans certains milieux au Rwanda peu avant le génocide des Tutsis avait assimilé les Tutsis à des partisans du FPR. C’est cette propagande extrêmement dangereuse qui a pris le dessus au sein d’une partie de la population après le 6 avril 1994 lorsque le FPR a lancé une offensive générale pour la conquête du pays et que ces troupes ont progressé sur le territoire national. Les réfugiés qui fuyaient le FPR furent parmi les Interahamwe les plus virulents et le génocide commis contre les Tutsis a véritablement été attisé par la progression du FPR sur le champ de bataille plus que par l’assassinat du Président Juvénal HABYARIMANA. Quant au terme de "double génocide" qu’on a parfois entendu, il renvoie à l'idée qu'un seul auteur aurait commis deux génocides en un seul, c'est à dire qu'il aurait à la fois commis un génocide contre les Hutus et un génocide contre les Tutsis. 

Cette expression ne correspond à rien de vraiment concret, sauf à retomber dans les errements de la première propagande du FPR d'après 1994 qui avait tour à tour évoqué un "génocide des Tutsis et des Hutus modérés" avant de se rendre compte de l'incongruité de cette appellation. Le nouveau discours du FPR évoque aujourd’hui uniquement « le génocide des Tutsis », à l’exclusion de toute référence aux victimes Hutus, ce qui laisse une partie des victimes sur le côté mais qui est néanmoins plus cohérent s’il s’agit de commémorer un génocide. Le terme "contre-génocide" a déjà été utilisé pour expliquer ou même justifier le génocide commis contre les Hutus par le FPR. C'est aussi un non-sens.

Lutter contre la propagande qui sème la confusion

Les termes adéquats qui correspondent à la vérité des faits, à la vérité historique et à la vérité juridique sont les termes de "génocide contre les Tutsis" et de "génocide contre les Hutus". Il y a donc eu deux génocides au Rwanda et il ne s'agit pas ici d'une "thèse" mais d'une réalité historique, factuelle et juridique. Il s'agit encore moins d'une "thèse négationniste" puisque cette réalité affirme justement l’existence de deux génocides et n’en nie pas. C’est plutôt la propagande qui fait de la réalité du génocide des Hutus une « fiction » alors que l’Afrique, l’Europe et le monde entier regorgent de centaines de milliers de réfugiés Hutus qui ont perdu les leurs au Rwanda et au Congo, tués parce qu’ils étaient Hutus. Le problème ne tient même pas vraiment de la question de savoir ce qu’il s’est passé exactement au Rwanda et quelle est la qualification que peuvent revêtir ces crimes. Il tient en fait de la propagande politique qui monte les Tutsis contre les Hutus, et vice-versa, alors que les Hutus et les Tutsis en tant que groupes n’ont aucun conflit entre eux. A aucun moment dans l’histoire du Rwanda les Hutus ou les Tutsis n’ont été globalement enrôlés les uns contre les autres dans un conflit qui les aurait opposés en tant que groupes.

Pire, cette propagande qui sème la confusion est à ce point pernicieuse que certains Tutsis se sentent obligés de nier qu’il y a eu un génocide des Hutus et certains Hutus se sentent obligés de nier qu’il y a eu un génocide des Tutsis au Rwanda. Or ce n’est pas parce qu’il y a eu un génocide des Hutus que cela empêche qu’il y ait bien eu un génocide des Tutsis sur lequel la justice internationale et même les justices nationales de nombreux pays se sont déjà penchées. De même, ce n’est pas parce que le FPR au pouvoir à Kigali a instrumentalisé le génocide des Tutsis à des fins politiques, notamment pour prendre le pouvoir et asseoir sa légitimité jusqu’à présent, que le génocide des Tutsis doit être nié. 

Et ce n’est pas non plus parce que le FPR porte une responsabilité dans le génocide des Tutsis, pour l’avoir provoqué ou même attisé, voire pour avoir infiltré les miliciens Interahamwe, que le génocide des Tutsis doit être nié, relativisé ou minimisé. La propagande est telle qu’on oublie que de nombreux Hutus ont été des victimes indirectes du génocide commis contre les Tutsis et vice-versa, notamment lorsqu’un homme Hutu ou Tutsi a pu voir son épouse et ses enfants tués uniquement parce qu’ils étaient de telle ethnie différente de la sienne. On comprend mieux d’ailleurs la raison pour laquelle de nombreux Rwandais ne veulent même pas entrer dans ce débat dans lequel ils ne se reconnaissent dans aucune des thèses biaisées et partisanes qu’on leur présente et qui font d’eux ou de leurs proches des génocidaires alors qu’ils ne sont que des victimes. Rares sont en effet les familles rwandaises qui ne comptent pas à la fois des Hutus et des Tutsis ou qui ne comptent pas à la fois des victimes des Inkotanyi et des victimes des Interahamwe. Il n’y a aucune concurrence entre ces deux génocides et encore moins de concours entre eux.

Accepter les vérités de toutes les victimes

Chaque Rwandais doit finir par admettre que nous avons des histoires différentes et qu’il est impossible de nier indéfiniment les crimes qui ont été commis contre les autres Rwandais. Le génocide commis contre les Hutus concerne les Tutsis autant que le génocide commis contre les Tutsis concerne les Hutus. Il n’y a aucune prohibition faite à un Tutsi de commémorer le génocide commis contre les Hutus et de réclamer justice pour les Hutus de même que rien n’empêche un Hutu de s’intéresser au génocide commis contre les Tutsis et d’en condamner les coupables. Les Rwandais doivent se sentir concernés par ces crimes en tant que Rwandais et non pas en tant que Hutus ou Tutsis, même si le rapport qu’on peut avoir avec un génocide commis contre sa communauté ne peut évidemment pas être le même que le rapport qu’on peut avoir avec un génocide commis contre une autre communauté. L’essentiel est de ne pas tomber dans le piège de l’amalgame et de la négation de l’autre.

L’amalgame et la négation de l’autre conduisent parfois à des raccourcis particulièrement pervers, comme lorsque cette journaliste soutient haut et fort qu’il y a eu un millions victimes dans le génocide des Tutsis pour un million d’assassins dans le but de justifier les crimes commis par le FPR contre les Hutus qui, bien sûr, composeraient ce million d’assassins. Enfin, ceux qui soutiennent qu’il s’agissait d’une guerre civile n’ont pas tort car tous ces crimes ont été provoqués par la guerre menée par le FPR, avec le soutien décisif de l’Ouganda, contre le Rwanda du 1er octobre 1990 au 16 juillet 1994 et qui a opposé l’APR aux FAR. Même si le dénouement de cette guerre a été, pendant toute cette période, la préoccupation première de tous les Rwandais, spécialement et paradoxalement entre le 6 avril 1994 et le 16 juillet 1994, on ne peut pas réduire ce qu’il s’est passé à cette seule guerre civile. 

Enfin, les Rwandais portent une responsabilité dans ces crimes mais il va de soi que les étrangers en portent une également, soit en tant qu’individus, soit en tant qu’Etats pour leur intervention active ou leur passivité dans ces crimes ou dans cette guerre. L’Ouganda, la Belgique, la France, les Etats-Unis, la République Démocratique du Congo, le Burundi, l’Angleterre et le Canada sont les premiers concernés. Seuls ceux qui ont intérêt à ce que les auteurs de tous les crimes ne soient jamais jugés entretiennent la confusion et tentent de laver le cerveau des générations futures qui ne se retrouvent de toute façon pas dans les explications incohérentes qu’on leur donne. Et ce travail de mémoire, de reconnaissance et de justice n’incombe pas seulement aux Rwandais, il incombe également à tous les étrangers qui s’intéressent à cette cause, que ce soit des particuliers, des associations ou des collectivités publiques.

 

Hachy, Septembre 2017

 

Par Rudatinya MBONYUMUTWA, Avocat, membre de l’ARL (Association Rwandaise du Luxembourg)

L’auteur est rwandais, né en 1975. Il est témoin direct de l’histoire récente de son pays à laquelle il s’intéresse depuis son plus jeune âge. Il était au Rwanda le 6 avril 1994 et pendant les semaines qui ont suivi. Il tient à préciser que ce texte est le fruit de plus de 23 ans de réflexion et de recul pendant lesquels il a assisté à de très nombreuses conférences et s’est entretenu avec de nombreuses victimes rwandaises Hutus et Tutsis. Il s’est procuré et a lu plus de 230 livres, sans compter les milliers d’articles, c’est-à-dire pratiquement tous les ouvrages principaux qui ont été publiés sur le Rwanda avant et après 1994 par les auteurs de tous bords. Il est avocat spécialisé en droit pénal qu’il a enseigné à l’Université.

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